Je me suis prise au jeu, et même si je n'ai pas eu de prix, j'ai beaucoup aimé écrire. C'est le but n'est-ce pas ? Je vous livre le texte, à vous de me dire ce que vous en pensez.
Cauchemar
en forêt
L'homme
s'arrêta, incertain. Il lui était difficile de se repérer dans ce
décor inhospitalier de la forêt dans lequel il avait été
brutalement jeté.
Depuis
qu'il s'était échappé du coffre de la voiture par un incroyable
miracle, il avait couru longtemps à perdre haleine sur le premier
sentier venu cerné par des arbres échevelés et des buissons
touffus. La sueur lui coulait dans les yeux, le sang battait dans
ses tempes, ses pieds se tordaient sur le sol inégal le faisant
souvent chuter, mais, oubliant la douleur, il se relevait, les
jambes douloureuses. Sa respiration était rauque, hachée.
Le chemin
se divisait en deux : droite ? gauche ? Il s'arrêta,
ne sachant lequel prendre, essayant d'écouter les bruits alentour.
Son cerveau était embrumé. Une chape de plomb habillait son corps
souffrant, rendant ses jambes flageolantes.
Pourquoi
devait-il courir ? Il n'avait plus de souvenir …. juste une
sensation de peur viscérale qui lui ordonnait de fuir éperdument.
Sa tête était sur le point d'éclater. Son coeur cognait dur dans
sa poitrine, un point de côté -mille piquants le lacérant- le
pliait en deux. Les arbres lui paraissaient être des fantômes aux
bras gigantesques et menaçants. Le vent gémissait dans les arbres,
sons discordants qui lui vrillaient les tympans. Il était nauséeux.
Une douleur plus aiguë le fit tomber de nouveau à terre. Il crut
entendre des voix, des aboiements,
des cris. Son prénom avait-il été prononcé ? Les sons se
mélangeaient, bouillie sonore, carillonnant dans son cerveau.
Un vague
souvenir vite effiloché lui serra le ventre. Il ne devait plus
s'arrêter mais continuer à fuir car sa survie en dépendait. Il se
releva péniblement, les larmes aux yeux rougis et douloureux, pris
de tremblements à l'idée qu'on le retrouve et qu'on finisse par le
tuer. Hors d'haleine il continua sa course folle, la gorge en feu,
gluant de sueur froide.
Peu à peu
la nuit étendait son manteau anthracite sur la forêt qui allait
bientôt devenir impraticable. Il devait trouver un abri tant qu'il
voyait encore un peu. Il était épuisé, haletant, chancelant.
Il quitta
le sentier et se jeta dans les taillis, se protégeant le visage des
broussailles épineuses, titubant plus que marchant, en aveugle. Il
entendit alors des gémissements, s'arrêta net, le ventre serré ;
quelqu'un claquait des dents tout près de lui, il faillit hurler, se
retint de justesse. Chut ! Il ne devait en aucun cas faire de
bruit… Il réalisa alors que ces gémissements de frayeur sortaient
de sa bouche. Sa peur exsudait par tous ses pores.
La lune,
chahutée par les nuages noirs, gonflés de pluie, qui
s’amoncelaient, éclairait par intermittence la forêt maintenant
plus clairsemée : les buissons étaient moins touffus, moins
denses, la marche plus aisée. A chaque instant, des bruits nocturnes
lui faisaient tendre l'oreille et se retourner : une ombre le
suivait ? Quelqu'un avait bougé ?
Combien de
temps s'était écoulé depuis que la voiture s'était arrêtée, le
coffre ouvert ? Une éternité. Et comment avait-il pu échapper
à son ravisseur ? Tout était confus, son crâne était si
douloureux. Il avait froid, la faim et la soif le tenaillaient, la
fatigue ralentissait sa fuite.
Le vent
tonitruait dans les arbres, bousculait les nuages cachant ou
découvrant la lune au gré de ses caprices.
Il déboucha
devant un lac ; la lune éclaira un court instant une barque
légère et dansante, frêle embarcation de fortune mais qui pourrait
néanmoins lui servir de refuge. Il devait dormir, se reposer,
remettre en ordre ses pensées pour trouver des réponses à ses
nombreuses interrogations.
A la faveur
de la lumière furtive de la lune, il détacha la chaîne du ponton
et grimpa pesamment dans la barque oscillante. D'un tas informe aux
effluves malodorants, il sortit ce qui ressemblait à une couverture,
s'enroula dedans sans faire la fine bouche et se coucha.
Instantanément, il s'endormit, recru de fatigue, bercé par le
balancement léger.
Le
crépitement d'une mitraillette le réveilla en sursaut. Hagard, son
cœur manqua un battement … mais ce n'était que la pluie drue,
froide, percutant la surface de l'eau. En un rien de temps il fut
trempé, la couverture mince ne le protégeant plus. Le jour se
levait timidement, essayant de percer la brume matinale. L'esquif
avait dérivé pendant son sommeil, doucement vers le bord opposé au
ponton.
La faim et
la soif qu'il n'avait pu assouvir l'affaiblissaient
dangereusement. Il se sentait toujours perdu : et
toujours cette question qui le taraudait sans cesse : « qui
le traquait et avait voulu l'éliminer » ? On l'avait
d'abord drogué puis enfermé dans le coffre d'une voiture …. mais
tout était si flou …. Une image pourtant s'imposa à son esprit,
celle de son ami Philippe : mais était-il son ami ou devenu son
ennemi ?
Il sortit
de la barque et tout en essayant de tisser les lambeaux de souvenirs
pour en faire une réalité et la réponse à son cauchemar, il
cheminait, suivant le sentier étroit serpentant dans les taillis.
Pour le moment, tout était calme, seul le bruit de la pluie
tambourinant sur les feuilles l'accompagnait. La peur était moins
présente mais prête à resurgir au moindre bruit suspect,
toutefois, il devait continuer à se cacher jusqu'à ce qu'il puisse
rassembler toutes les pièces du puzzle.
La pluie
s'était enfin arrêtée alors que le jour s'installait. Les
buissons, maintenant moins nombreux s'espaçaient jusqu'à une petite
clairière. Des enfants, en quête d'aventures héroïques, avaient
bâti succinctement une hutte en branchages, sans doute délaissée
depuis peu car il y vit deux paquets de gâteaux secs, une bouteille
d'eau, un carnet à spirale et un crayon : trésor inestimable !
Il engloutit en un clin d’œil les provisions qui avaient le goût
de la vie et il sentit peu à peu ses forces revenir. Tant mieux car
ses idées allaient ainsi plus clairement s'ordonner. Il devait
prendre des notes et les quelques pages vierges du carnet
providentiel feraient l'affaire.
Il ferma
les yeux pour mieux se concentrer, faisant appel de toutes ses forces
à sa mémoire encore défaillante. Il écrivit le prénom
« Philippe » : pourquoi penser à lui ? Il
était essentiel de déterminer s'il était toujours son ami ou son
ennemi. Avait-il vraiment voulu le tuer ? Cela paraissait
invraisemblable, mais toute la situation dans laquelle il se trouvait
malgré lui était invraisemblable. Il écrivit aussi les mots
« déjeuner », « fusion » et « signature ».
Lentement des souvenirs faisaient surface : il se revoyait avec
son ami pour fêter la signature qui unirait leurs deux entreprises,
signature importante, vitale même pour lui, laquelle aurait lieu
lors d'un déjeuner amical. Il avait dû boire plus que de raison,
se souvint de son état légèrement comateux …. était-ce avant ou
après la signature ? « J'ai été drogué » se
dit-il la peur fouissant de nouveau ses entrailles avec
violence. La bile remonta à sa gorge. Il se leva et s'éloigna pour
vomir. Son cœur battait beaucoup trop vite, il devait se calmer,
chercher encore si ces souvenirs étaient réels ; peut-être
rêvait-il ...
Soudain, il
crût entendre son prénom ! On le recherchait donc pour
l'achever ? Mais il ne se laisserait pas faire, il lutterait
pour sauver sa peau, il voulait vivre !
Il se
laissa choir dans l'abri
feuillu, reprit son carnet et son crayon qu'il mordilla et se
concentra de nouveau pour coller tous ses
souvenirs en une trame compréhensible et logique.
Des images
précises se formaient maintenant : il se revoyait dans la salle
à manger d'un restaurant
familier, tous les documents posés sur la table en attendant les
plats commandés ; il
avait signé les
papiers après
avoir bu un verre,
puis
un ou
deux autres
supplémentaires pour
solenniser son paraphe,
avait été encouragé
à en prendre encore un.
Ce dernier ne
devait-il
pas contenir
de la drogue ?
Il se sentait partir à la dérive, sa bouche était pâteuse, sa
tête devenait lourde, très
lourde, sa vue se
brouillait …. et il tombait dans un trou noir. Puis il avait dû
être mis de force dans le coffre d'une voiture à destination de
cette maudite forêt. Mais pourquoi lui avoir fait subir ce
traumatisme ? Il ne comprenait toujours pas les raisons de cette
machiavélique mascarade.
Et voilà
où il en était réduit maintenant : fuir et se cacher pour
rester en vie. Mais cela était inacceptable, car comment pourrait-il
fuir toujours ? Il avait une vie agréable, une femme, des
enfants, un travail qui lui plaisait ! Non il ne renoncerait à
rien de tout cela.
Son cœur
s'emplit de chagrin et de colère mêlés ; la peur disparut.
Une force nouvelle lui donnait des ailes. Il allait se lever, quitter
cette hutte, sortir de la forêt coûte que coûte et reprendre sa
vie en main. Car il y avait sûrement une explication à ce
cauchemar et il ferait tout pour la connaître. Oui, il exigerait que
Philippe lui donne des éclaircissements sur son attitude, et
peut-être les choses pourraient-elles s'arranger, après tout, ils
étaient amis n'est-ce-pas ?
Des bruits
indéterminés agaçaient ses oreilles ; une voix, tel un
bourdonnement lointain dérangeait ses pensées, l'empêchant de se
concentrer. Il secoua la tête comme s'il voulait chasser des guêpes
vrombrissantes. Puis, de plus en plus proche, une voix féminine
qu'il connaissait bien s'imposât, autoritaire, impérative. Les mots
claquaient, nets et précis le forçant à reprendre conscience et à
ouvrir les yeux. Il essayait, en vain, se débattant dans le noir, il
avait l'impression qu'une araignée géante et velue s'étalait dans
son cerveau, se repaissant de ses neurones. Il luttait avec fureur,
mais se sentait moucheron face à l'énorme tarentule qui
l'obligerait bientôt à danser pour éviter l'engourdissement fatal.
Sa tête ballottait à droite et à gauche. Il espérait le silence,
l'attendait, l'exigeait. Il voulait parler mais aucun son ne forçait
le barrage de ses lèvres. Les mots entraient dans son crâne pour
aussitôt en ressortir, sans laisser aucune trace, sans s'imprimer.
Le blanc de son cerveau se battait avec le noir de l'araignée, le
laissant exsangue.
Et la voix
s'obstinait, entêtante et il ne pouvait plus fuir, se sentant
ligoté. Où était la forêt et la cabane de branchages ?
Il tournait en rond en danse funèbre. Son corps était endolori, sa
tête en feu, il se sentait devenir fou. Il divaguait sûrement. Il
devait fuir cette voix, et pour cela, retrouver cette forêt pour se
cacher à jamais…. Là il serait tranquille …L'araignée enfin
repue était partie de son cerveau… il se sentait un peu mieux bien
qu'encore faible. Comment arriverait-il à courir pour se cacher si
son corps était cotonneux ?
Une voix
d'homme se superposa à celle de la femme. Des mots
incompréhensibles, inopportuns, collés les uns aux autres pour
former une bouillie infâme, tentaient de percer la paroi de son
crâne paresseux. Un liquide sucré légèrement épaissi par une
mixture dont il ne put reconnaître le goût coulait dans sa gorge.
Avait-il ouvert la bouche ? Et cette voix masculine, trop forte,
trop présente, qui lui parle sans relâche ! On le secoue, il a la
nausée ; il veut sortir de la forêt, et en même temps s'y
cacher pour qu'on le laisse tranquille. Est-ce trop demander ?
Il se sent tellement perdu, tellement las.
Pourtant,
petit à petit, le liquide salvateur qu'il a ingurgité à son insu
libère en lui une énergie nouvelle. Il n'a plus peur, il se sent
audacieux, il peut tout tenter : même se lever, se débarrasser
de ce carcan qui l'enserre. Il peut tout entendre, ses oreilles se
sont ouvertes, son cerveau réagit. Peut-il ouvrir les yeux ? Il
n'ose pas de peur de se retrouver de nouveau dans la forêt à fuir
il ne savait quel ennemi. Mais il entend des voix apaisantes,
murmures assourdis, sons de miel … il est temps pour lui de se
réveiller, de participer à la vie, de sortir de sa léthargie, de
son cauchemar dont il sera le premier à se moquer et à rire.
Alors,
sortant enfin du coma qui l'avait terrassé, il ouvre les yeux,
regardant d'un air craintif le décor
qui
l'entoure.
Un
mal de tête persiste, tel
un étau enserrant son crâne douloureux.
Il a un goût amer, âcre dans sa bouche desséchée. Il a
soif. Il aimerait bien savoir comment il a quitté la sinistre forêt
pour se retrouver allongé sur un lit. Rien n'est clair. A t-il dormi
et imaginé toute cette terreur dans la forêt ? A t-il vraiment
vécu ce cauchemar hallucinant ?
Mais
maintenant, il est à l'abri, confortablement installé, bien que
tremblant encore au souvenir de
sa peur irrépressible.
Des
jappements, des gambades, une truffe humide, des coups de langue
témoignent de la joie de son labrador de le voir enfin réveillé.
Sa
femme se tient
à son chevet. En riant,
elle montre d'un geste ample les cadavres de bouteilles vides
qui jonchent le sol. Il a donc bu plus que de raison et pris une
sacrée cuite ! C'est sa première gueule de bois dont il ne
connaissait pas tous les symptômes toxiques ravageurs. Il a dû en
ingurgiter des verres pour être dans cet état !
Ivre !
Voilà l'explication qu'il pense plausible : il ne tient pas
l'alcool et il a trop bu pour fêter la signature de la fusion.
De l'autre
côté du lit, son ami Philippe ne peut s'empêcher d'éclater d'un
rire sonore en se moquant de lui : « mon vieux, si tu te
voyais ! On dirait que tu as fais un affreux cauchemar « !
Œuvre
certifiée originale, personnelle et inédite
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